19 avril 2015 / Nationalités

Donc j’ai pris mon vélo. J’ai mis mon casque: c’eût été bête de mourir un jour pareil. Parti de la rue de Rome (les mots portent les symboles), passé par l’Opéra Garnier, la Comédie française (les mots aiment à jouer), l’Hôtel de ville (roulé sur la place, contourné le manège, évité les passants, c’aurait été con de se faire arrêter à quelques pas du but), franchi le pont d’Arcole (les noms ont un sens, Bonaparte j’arrive), arrivé sur l’île (je n’aime que cela, les îles) de la Cité (le plus beau mot). Un peu à gauche, à contre-sens, un peu à droite, un peu à gauche. La rue d’Ursins (l’étrangeté de ce nom…). Ils étaient bien cinquante dans la rue. Endimanchés comme des premiers communiants. Une femme rajuste la cravate de son mari. Moi aussi, j’ai gardé la chemise blanche du matin, enfilé un veston, faisait chaud. Ils, non, nous étions bien cinquante à attendre. Tous des étrangers. Je me sentais mieux après mes hésitations et mes actes manqués du matin: agenda égaré, coups de fil impérieux à donner, pneu dégonflé. Tous des étrangers. Ma patrie. Un jour, j’en deviendrai le député. « La patria sarà quando tutti saremo stranieri », la patrie ce sera quand nous serons tous étrangers. Ma devise. Le gendarme nous avertit quand une moto cherche à traverser le groupe compact: ce serait idiot, se dit-il. Mesdames, Messieurs, vous pouvez entrer. Je suis le dernier. Je traîne un peu la patte. Trois étages, carte d’identité (l’étrangère) à montrer, papier à signer, couloir à parcourir. Ca y est, salle Marianne, la bien nommée. Plus reculer. Dedans, ça sent la distribution de prix. La directrice de cabinet du préfet de police, micro accroché à l’oreille, vraie star, énonce le programme. Quatre parties, Mesdames et Messieurs. Très bien fait. Ils ont reçu une certification ISO pour cela, je comprends. En face de moi, la photo de Hollande, bras ballants comme ceux d’une poupée qu’on aurait mal emmanchés. À l’écran, la signature de Manuel Valls. Un petit film, Mesdames et Messieurs. Les valeurs, les droits, les devoirs. Le Charles de Gaulle (j’imagine) et des avions de combat qui décollent. Vous pourrez être appelé en cas de conflit. Je ravale ma salive. Mon âge m’évitera cela. Je respire. Et maintenant, nous allons chanter la Marseillaise. Je suis à côté de la directrice de cabinet: ma faute, j’aurais pas dû entrer le dernier, y avait plus que cette place. Je prononce les mots Allons etc, évite le sang impur et les sillons abreuvés. Applaudissements. Sourires des participants. Photos à côté du buste de Marianne, avec la directrice de cabinet, très sympathique. Je suis seul, donc je prends les photos des autres. Encore une s’il vous plaît. Oui, avec plaisir. Je signe le livre d’or: on a été très bien accueillis. Merci la France. Je suis franco-belge. Traître, moi ? Je ne lâche rien, je (dé)multiplie. Je légitime, je cohère. Je peux voter. Et quand je donnerai mon avis sur la France, on ne me dira plus: d’où tu parles? J’attends de récupérer la nationalité italienne de ma mère, ma petite (en taille) sœur s’en occupe. Après ? Après, on verra. Cosmopolites de tous les pays, encore un effort, disait Derrida. J’essaie.

P.-S.: Petit rappel à l’attention de mes amis de gauche, y compris députés PS et EELV: à quand le droit de vote pour les étrangers extra européens? Promesse toujours faite, jamais tenue. Ou faudra-t-il que tous deviennent français pour donner leur avis? La patrie, ce peut ne pas être quand tous sont nationaux.

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