25 Oct 25 octobre 2015 / En bas de chez moi
En bas de chez moi, y a une épicerie casher. Certains dimanches matins, pendant que les cloches de l’église du square tout proche sonnent avec l’enthousiasme d’une nonne en goguette, les voitures venues de la banlieue garent en double file dans la rue et à Pessah, les cartons s’empilent sur le trottoir. Enfin, se garaient, s’empilaient et y avait. Ou quasi. Le casher va être remplacé par une épicerie d’une chaîne bio.
Ce matin, comme souvent quand c’est elle à la caisse, la vendeuse fumait une clope sur le pas de la porte. Moi, je m’entends mieux avec le gérant, j’aime sa tchatche rieuse. Mais en veine de bavardage, ce dimanche matin, j’ai quand même tapé la conversation à la vendeuse. Elle a une voix cassée de fumeuse et un accent pied-noir lointain. Moi : Alors, quand est-ce que vous allez fermer ? Elle : Fin novembre. Moi : Oui, la concurrence. C’est vrai, il y a un autre casher qui s’est ouvert pas loin. Elle : Oh, c’est pas ça. C’est difficile. Le patron, il en a marre. Vraiment marre. Moi : Marre ? Elle, après une pause : Oh, des tas de choses. Des tas de choses. Dans ses yeux noir profond, passaient les attentats de janvier, l’hyper casher de la porte de Vincennes, la multiplication des alya et de l’antisémitisme, un peu de parano.
Moi, le casher, les histoires du petit qui ne doit pas être cuit dans le lait de sa mère, jusqu’à la couleur des coquilles d’œuf qui ne doit pas être jaune mais blanche, ça m’énerve. Comme le poisson catho du vendredi ou le carême sans bonbons. Même si le poisson, certains jours, c’est mieux que la viande et que se passer de bonbons, c’est bon. Et pour tout dire, je serai content d’avoir un « bio » en bas de mes escaliers. On est bobo ou on ne l’est pas.
Mais, quand après avoir tapé la discussion avec la vendeuse, j’ai fait mon jogging (on est bobo ou on ne l’est pas), je me suis dit que les temps commencent à devenir sales par ici. Un pur, bien, bio, bobo, nouveau conformiste chasse un autre pur, casher, conforme depuis des lunes. Un nouveau convenable pousse un ancien devenu moins acceptable ou qui se sent moins accepté. Les purs partent où ils croient être mieux chez eux. Et les nouveaux purs se retrouvent entre eux. Il y a des épurations et auto-épurations sournoises, sous les dehors les plus corrects.
Oui, sale temps pour l’impureté.
Moi, en bas de mes escaliers, je veux une rue avec pleins de purs qui s’entremêlent et se polluent les uns les autres. Des bio, des casher, des hallal. Jusqu’à ne plus savoir (ce) qui est pur et (ce) qui est impur. Pas une rue bio. Une rue qui vit.