8 décembre 2015 | Parlement européen, Bruxelles

 

Mot de remerciement pour le Prix du livre européen

 

Cette bafouille, lue lors de la remise du Prix du livre européen mardi dernier dans une des salles du Parlement européen, me correspond forcément assez, autant donc la publier ici, à peine élaguée et retouchée. Dans la cour de récréation qu’est facebook, autant savoir avec qui on joue, non?

 

Mes appartenances sont multiples. Père belge, mère italienne, enfance en Afrique et, après la Belgique, un bout de vie à Londres et maintenant en France. Quand il s’agit d’identité, je me pose plus de questions que je n’assène d’affirmations. Plus d’interrogations que de revendications. Et si j’abhorre les nationalismes, je me méfie presque tout autant des nations. (…)

Merci d’avoir accordé le prix pour une histoire qui raconte le parcours d’une famille du sud au nord de l’Europe, d’un homme, le père, qui va mourir à ses extrêmes confins, sans avoir réussi sans doute ni à maîtriser son territoire ni à avoir compris son errance. L’itinéraire, aussi et surtout, d’une femme qui cherche son identité entre plusieurs allégeances et ses mots entre plusieurs langues. Et qui, dans sa jeunesse, croit s’épanouir dans un illusoire et, a posteriori, dérisoire fascisme, avant que ne la rattrape la réalité la plus sombre.

On croit écrire pour comprendre le passé et on s’aperçoit au fur et à mesure qu’on avance, que, dans les phrases qui cherchent à éclairer ce passé, percent, pointent, s’imposent comme par effraction, violemment, le présent. C’est, j’imagine, la revanche de la réalité sur la fiction.

Les attentats de janvier et ceux de novembre vécus à Paris et avant cela ceux de Londres et de Madrid, m’ont comme vous tous, hébété. Je retrouvais comme blessant ma chair pourtant indemne, un cri, de haine et de souffrance à la fois, celui de jeunes qui ne se reconnaissent pas dans notre territoire, notre histoire et vont chercher ailleurs, en de mortifères mirages, dans un passé mythifié, la réponse à leur malaise, davantage : à leur vide ou à leur trop-plein, et il faudrait savoir le vide ou le trop-plein de quoi.

Et je retrouve dehors ce que d’autres mieux et plus que moi ont décrit : la réaction totalitaire, aussi intolérante et violente, que certains ou beaucoup attendent ou veulent imposer.

Si la littérature cherche quelque chose, c’est, il me semble, à comprendre, saisir – parfois au sens propre – l’autre. Même dans l’autofiction la plus pure, l’écrivain est en quête de l’autre qui est en lui.

Si la fiction, alors, peut nous dire quelque chose aujourd’hui, ce serait de ne pas abandonner l’autre à l’a priori, même celui dont les actes nous autoriseraient à le haïr. C’est d’interroger sans relâche l’individu et, contre tous les simplismes, d’ici et d’ailleurs, de tirer jusqu’au bout les fils de chaque histoire.

Car à ce bout, au bout de l’autre, c’est toujours soi-même ou une part de soi-même que l’on trouve.

Peu de bonnes histoires n’ont qu’un fil, c’est le tissage des fils multiples qui fait un bon récit comme il fait une bonne société.

La poésie est le laboratoire de l’humain, disait à peu près quelqu’un hier. Aujourd’hui on a autant besoin de mots que d’hommes et de femmes justes.

De femmes et d’hommes que de mots justes.

PrixduLivreEuropéen2015.Remise