« André Schwarz-Bart et Yambo Ouologuem, itinéraires croisés »
Exposé avec lectures de Frédéric Dussenne
Je ne suis pas juif ni noir. Personne n’est parfait. Mais je suis lecteur. Et j’aime les transgressions de frontières, ces traversées qui font se croiser les êtres et les mots. Les itinéraires juif et afro-antillais du Français André Schwarz-Bart et du Malien Yambo Ouologuem offrent ces croisements qui concentrent à la fois tensions et engendrements. Né à Metz en 1928, Schwarz-Bart connaît la Shoah autour de lui. Né à Bandiagara en 1940, Ouologuem vit la colonisation et l’héritage de l’esclavage. Le premier écrit Le Dernier des Justes, histoire des Lévy du 12e au 20e siècle, et remporte le prix Goncourt en 1959 pour ce premier roman. Le deuxième publie Le Devoir de violence, et obtiendra le Renaudot 1968 avec cette première œuvre, fresque de l’empire du Nakem du 13e au 20e siècle, miroir du roman de Schwarz-Bart et reflet brisé de multiples autres écrits. Tous deux sont accusés de plagiat. Chacun a maille à partie avec sa communauté. Et après des débuts fulgurants, l’un et l’autre s’exileront et se cloitreront dans le silence. Ouologuem se retirera au Mali. Après le Sénégal, Schwarz-Bart vivra en Guadeloupe avec Simone Brumant, et se consacrera à l’histoire caribéenne : « Esclavage et Shoah sont deux tragédies qui ne s’excluent pas », dira-t-il. Sa légitimité sera cependant contestée par les Antillais et il ne publiera plus. Un reproche fait, symétriquement, à Ouologuem : on lui aura toujours refusé le statut d’écrivain « français » qu’il a tant cherché, notamment dans ce geste provocateur des Mille et une Bibles du sexe (Vents d’ailleurs, 2016) où, dans un récit au cœur de la France, il détourne tous les codes de la littérature érotique européenne.
Avec Frédéric Dussenne comme lecteur, nous écouterons les multiples échos d’une œuvre et d’une vie à l’autre. Pour tenter de découvrir ce que ces traversées parfois périlleuses de lignes nous disent aujourd’hui, en un temps où se concurrencent les martyres et que de toutes parts, s’élèvent murs et frontières.
Jean-Pierre Orban