La genèse du Dernier des Justes :
André Schwarz-Bart, un « porteur du temps »
Par Francine Kaufmann
Discutant : Jean-Pierre Orban
Le Dernier des Justes (*) premier roman d’André Schwarz-Bart (1928-2006) paru au Seuil en 1959 eut un impact considérable dès avant l’attribution du Prix Goncourt qui le consacra et lui assura une des ventes les plus importantes dans l’histoire du prix. Le livre fut traduit dans un nombre considérable de langues, l’édition américaine dépassant à elle seule les 500 000 exemplaires. C’est que, en français en tout cas, à une époque où le silence pesait encore sur la Shoah, le roman constituait une des premières sagas identitaires (Francine Kaufmann) aboutissant à elle : débutant au Moyen Âge, le récit mythico-historique parcourt près de neuf siècles, des Croisades à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, de York à Auschwitz en passant par la Pologne, l’Allemagne et la France pour décrire à la fois le processus qui a mené au génocide et l’esprit dans lequel les Juifs de la diaspora ont vécu cet avènement dans une Europe chrétienne. Une saga identitaire qui en inspirera d’autres, dont Le Devoir de violence du Malien Yambo Ouologuem.
C’est à la genèse de ce roman conçu tôt dans les années cinquante, mûri et travaillé pendant huit ans et résultat de cinq versions aux approches et tons différents, du lyrique à l’ironie en passant par la distance narrative ou celle des contes, que sera consacrée la communication du 7 avril. Fondée sur sa thèse universitaire et trente ans de recherche, l’étude de Francine Kaufmann s’appuie sur l’analyse de brouillons et de notes confiés par l’auteur puis consultés après sa mort dans sa maison de Goyave (Guadeloupe). En complément, sont aussi convoqués pour tenter de comprendre le processus de création de l’œuvre, les échanges avec l’auteur (correspondance, notes prises lors de rencontres et d’entretiens téléphoniques) ainsi que les interviews et les dossiers littéraires contenus dans l’imposante presse à l’époque de la publication du Dernier des Justes.
Cette séance de séminaire inaugure un cycle qui se poursuivra dès l’an prochain par d’autres séances et constitue la première manifestation d’un nouveau groupe de travail consacré, au sein de l’équipe « Manuscrit francophone » de l’ITEM, à l’œuvre d’André et de Simone Schwarz-Bart et aux questions génétiques et thématiques qu’elle soulève (contiguïté des tragédies de la Shoah et de l’esclavage noir, « réversibilité » de l’œuvre « juive » et du cycle « noir » qui en traitent, écriture à quatre mains, écritures masculine et féminine, rapport profondément tragique – jusqu’à la destruction et la réécriture successives – d’un auteur avec ses archives, relation de l’historique et du biographique dans la génétique et l’annihilation des œuvres, impact de la communauté – juive et antillaise – sur le développement des œuvres, réserves voire « censure » à leur réception et mutation qui en a résulté).
La séance sera introduite par Jean-Pierre Orban qui sera revenu deux jours plus tôt de La Guadeloupe où, grâce à l’hospitalité de Simone Schwarz-Bart, il aura pu explorer les archives du couple, aussi riches que complexes et originales (ainsi la bibliothèque annotée d’André). La séance sera l’occasion de rendre compte de sa mission. Elle sera aussi un appel à des contributions nouvelles au groupe de travail.
Francine Kaufmann est professeure des universités, retraitée de Bar-Ilan (Ramat-Gan, Israël) où elle a enseigné de 1974 à 2011 et dirigé à deux reprises le département de traduction, d’interprétation et de traductologie. Docteur ès Lettres (Paris X-Nanterre 1976), diplômée de l’École des Langues Orientales (hébreu) et de l’Université de Boston (Communication publique). Universitaire et essayiste, elle est l’auteur d’un livre sur André Schwarz-Bart : Pour relire « Le dernier des Justes » – réflexions sur la Shoah publié à la Librairie des Méridiens-Klincksieck (Paris, 1986). Elle contribue depuis plusieurs années à réunir et classer les manuscrits, tapuscrits et documents des œuvres juive et antillaise des Schwarz-Bart.Francine Kaufmann a publié une centaine de contributions dans ses domaines de recherche (littérature de la Shoah, culture juive, traductologie). Elle est aussi traductrice de poésie et a été réalisatrice de télévision et de radio.
(*) Tous les ouvrages d’André et Simone Schwarz-Bart, hormis Hommage à la femme noire (Éditions Consulaires) sont publiés au Seuil. Le prochain titre du « cycle noir », Adieu Bogota, y paraîtra en mai prochain.