Expo Giono, MUCEM, clair-obscur (5 décembre 2019)

Formidable expo Giono orchestrée par Emmanuelle Lambert vue il y a dix jours au Mucem à Marseille. Scénographie, dispositif médias, régal de pièces manuscrites. On suit Giono dans ses méandres clairs-obscurs. Impressionné par sa puissance créative. Troublé aussi par son « dossier ». Car si on adhère à son antimilitarisme et sa dénonciation des boucheries guerrières, on bute déjà à Munich qu’il soutient (soit, son pacifisme l’a trompé et on juge de nos yeux d’aujourd’hui). On tique sur ses photos dans « Signal » (soit, elles ont été détournées par l’occupant). Et puis on lit, glacé, sa lettre à Gerhard Heller, Sonderführer à Paris pour la politique littéraire des autorités allemandes, qui l’invite en septembre 1942 au Congrès des écrivains européens à Berlin (merci pour la présence de l’original!). « Cela me gêne de vous appeler cher Monsieur, je voudrais pouvoir vous dire Cher ami. » Et après avoir expliqué qu’il doit s’occuper de sa mère malade: « Je voudrais qu’il n’y ait pas de malentendu entre vous et moi: voilà les seuls motifs de mon empêchement. Il faut que ce soit clair. Je souhaite franchement pouvoir faire partie d’un prochain congrès… ». Giono esquive peut-être, mais ne refuse pas l’invitation. Et Emmanuelle Lambert a beau dire, avec raison, dans « Giono, furioso » (Stock), que beaucoup d’écrivains s’auto-inventent, il y a des postures qui ressemblent furieusement à des impostures (quand il se défend devant la commission d’enquête) sinon à des mensonges. Pour avoir travaillé sur Pierre Mertens, chez qui la frontière entre auto-construction et fabrication du vrai/faux est floue, je me dis qu’on est en droit de trouver, à moins d’être victime d’une duperie, le point d’équilibre entre création et authenticité. Complexe Giono, oui. Retors Giono, oui.