HOMMAGE A MONIQUE DORSEL (22/03/2025)

HOMMAGE A MONIQUE DORSEL (22/03/2025)

A la manière, si je peux, du poète de la disparition, je me souviens, Monique, de ta voix grave et suave qui volait dans les airs.
Je me souviens de ton sourire à la fois sceptique et bienveillant.
Je me souviens de tes mouvements, ce phrasé du corps, d’une comédienne qui avait été grande et se battait pour le rester jusqu’au dernier souffle, le plus tard possible.
Je me souviens de tes lectures qui voyaient entre les mots et les imaginait au loin, vivants, sur pied, sur scène, chantants, voletant comme toi.
Je me souviens de ton accueil, hôtesse divine, vestale en grâce et autorité, dans le lieu de la rue d’Ecosse que tu avais créé avec Emile Lanc.
Je me souviens de ta silhouette entre les murs de ton temple de plus en plus déserté, de plus en plus abandonné. Comme la trace d’un passé déjà oublié.
Je me souviens de toi, phenix fragile, dans les salles de ton palais rénové tel un maquillage sur un visage dont le sang s’échappe lentement. De cette nouvelle vie précaire comme une insulte vaine au temps des injonctions rentables et des paroles gratuites.
Je me souviens, oh oui, des Beaux Jours, ce titre dérisoire, et de toi déjà enterrée mais toujours surgissante.
Je me souviens de ta renaissance à Paris. Et de tes appels d’un coin de la ville à un autre où j’étais, comme par des voies étranges qu’on ne pourrait jamais identifier.
Je me souviens de tes adieux aux Martyrs (tous ces noms qui égrènent nos peines, nos dilemmes, nos combats, nos doutes) dans cette Voix humaine que tu portais une dernière fois envers et contre tout, soutenue par Charles, ce chevalier étrange de ton bout de vie.
Je me souviens de ta maison dans les Flandres et de tes archives, un autre temple, celui du rappel d’un lieu, le Théâtre-Poème, qui aura vu passer la cohorte entière des esprits d’une époque.
Je me souviens de ce côté déjà un peu désuet, de ces éclats improbables aujourd’hui, du feuillage un peu anachronique de ton mensuel.
Je me souviens de la dernière fois où nous nous sommes croisés dans une librairie de la galerie des Princes, perpendiculaire à celle de la Reine (ah, à nouveau ces mots, comme sortis du théâtre, classique ou de boulevard), c’était en 2018, il y a longtemps, j’y présentais ma biographie de Pierre Mertens, tu étais en face de moi, Pythie altière et silencieuse, refusant, je l’ai imaginé, comme je l’avais senti plusieurs fois avant cela, de briser le pacte de loyauté à l’égard de ton clan, ta bande de mousquetaires. Tous pour un, une pour tous. Dans ce Bruxelles qui se fermait devant puis derrière moi, et je retournerais le soir ou le lendemain à Paris, et toi de ton côté, dans d’autres trains.
Je me souviens, je me souviens si peu, si peu… quand d’autres savent tant et tant plus.
Et je me dis qu’il faudra refuser l’oubli, ne rien effacer des traces que tu as laissées et qui palpitent comme ton coeur. Qui recèlent un temps comme ton sourire camouflait un monde…
A Monique Dorsel.